Les mots qui tuent : comment le langage crée l’ennemi

Le langage ne reflète pas seulement la division. Il la crée.

Victor Klemperer était philologue à Dresde. Juif. Marié à une « Aryenne », ce qui lui a sauvé la vie. Pendant 12 ans, il a tenu un journal secret, documentant comment le nazisme a transformé la langue allemande.

Son livre, LTI – Lingua Tertii Imperii (« La Langue du IIIe Reich »), révèle une vérité terrifiante : le nazisme n’a pas inventé de nouveaux mots. Il a changé leur sens.

« Fanatique » est devenu une vertu. « Lutte » (Kampf) un devoir. Les Juifs sont devenus « Untermenschen » — sous-humains. Des parasites. De la vermine.

Klemperer écrit : « Ce n’est pas seulement les actions nazies qui doivent disparaître, mais aussi la mentalité nazie, la façon de penser nazie, et son terrain fertile : la langue du nazisme. »

George Orwell a capturé la même idée dans Politics and the English Language (1946) : « Le langage politique est conçu pour faire paraître les mensonges véridiques, le meurtre respectable, et donner une apparence de solidité au vent pur. »

Ce n’est pas de l’histoire ancienne.

Avant le génocide rwandais de 1994, les Tutsis étaient systématiquement appelés « cafards » (inyenzi) à la radio. Avant chaque massacre, les mots déshumanisent d’abord.

Pourquoi ? Parce qu’il est difficile de tuer un humain. Il faut de la distance morale. Mais un « cafard » ? Un « parasite » ? Facile. Le langage supprime l’impératif moral de ne pas tuer.

Alors oui, nos cerveaux sont tribaux. Les algorithmes amplifient. Les médias profitent.

Mais le langage — les mots que nous choisissons — c’est l’arme finale.

Parce que quand on change les mots, on change les ennemis.


SOURCES

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