Auteur/autrice : marc

  • La créativité algorithmique n’existe pas

    La créativité algorithmique n’existe pas

    On nous vend des « IA créatives ». Des générateurs d’images « artistiques ». Des compositeurs virtuels « innovants ».

    Mensonge.

    L’IA générative ne crée rien. Elle recombine. Elle interpole. Elle optimise des patterns existants avec une sophistication hallucinante, certes, mais elle reste prisonnière de son corpus d’apprentissage.

    Margaret Boden, chercheuse en créativité computationnelle, distingue trois types de créativité :

    • combinatoire (associer des idées existantes),
    • exploratoire (explorer un espace conceptuel connu),
    • transformationnelle (changer les règles mêmes du jeu).

    L’IA excelle dans les deux premiers. Le troisième lui est inaccessible. Pourquoi ? Parce qu’il nécessite de l’intention, de la transgression consciente, de l’absurdité voulue.

    En 1917, Marcel Duchamp prend un urinoir de série, le signe « R. Mutt », et l’expose comme œuvre d’art. « Fontaine » bouleverse pour toujours notre conception de l’art. Ce n’est pas une belle combinaison d’éléments existants. C’est un geste conceptuel radical qui nie toute définition antérieure de l’art.

    Picasso fracture les visages en « Les Demoiselles d’Avignon ». Stravinsky provoque une émeute avec « Le Sacre du Printemps ». Ces créations ne sont pas optimales. Elles sont disruptives, dérangeantes, « fausses » selon les critères de leur époque.

    Camus le dit magnifiquement : « L’homme est la seule créature qui refuse d’être ce qu’elle est. » Cette révolte ontologique est le moteur de la vraie créativité.

    L’IA peut générer une œuvre « à la manière de Picasso ». Mais elle n’aurait jamais pu ÊTRE Picasso, car elle n’aurait jamais eu l’audace de casser toutes les règles qu’elle venait d’apprendre.

    La créativité véritable n’est pas une optimisation. C’est une rupture.

    Et seul l’humain ose vraiment rompre.


    Sources citées :

    • Albert Camus – « Le Mythe de Sisyphe » (1942) et « L’Homme révolté » (1951)
    • Margaret Boden – « The Creative Mind: Myths and Mechanisms » (2004)
    • Marcel Duchamp – « Fontaine » (1917)

    Sources complémentaires :

    • Arthur Koestler – « The Act of Creation » (1964)
    • Picasso – « Les Demoiselles d’Avignon » (1907)
    • Igor Stravinsky – « Le Sacre du Printemps » (1913)
    • Edward de Bono – « Lateral Thinking » (1970)
  • L’empathie algorithmique : le grand mensonge confortable

    L’empathie algorithmique : le grand mensonge confortable

    Les entreprises tech nous promettent des chatbots « empathiques », des IA « à l’écoute », des assistants virtuels qui « comprennent nos émotions ».

    Bullshit.

    L’empathie, ce n’est pas détecter que quelqu’un utilise le mot « triste » trois fois dans une phrase et répondre avec un template pré-programmé de compassion artificielle.

    Daniel Goleman, celui-là même qui a popularisé le concept d’intelligence émotionnelle, identifie trois composantes de l’empathie véritable :

    • l’empathie cognitive (comprendre la perspective de l’autre),
    • l’empathie émotionnelle (ressentir ce que l’autre ressent),
    • la préoccupation empathique (être poussé à agir pour aider).

    L’IA peut simuler la première. Maladroitement.

    Mais les deux autres ? Impossible.

    Parce qu’elles nécessitent d’avoir un corps, une histoire, des blessures, une conscience.

    Brené Brown, chercheuse sur la vulnérabilité et le leadership authentique, enfonce le clou : l’empathie nécessite la vulnérabilité. Elle nécessite d’accepter de ne pas avoir de réponse parfaite, de s’asseoir dans l’inconfort avec l’autre, de dire « je ne sais pas quoi dire, mais je suis là ».

    Un algorithme ne peut pas être vulnérable. Il ne risque rien. Il n’a rien à perdre.

    J’ai vécu des moments où un simple regard, un silence partagé, valait mille mots. Où la présence de quelqu’un qui ne disait rien mais qui ÉTAIT là changeait tout.

    L’IA peut vous donner des conseils. Elle peut analyser votre ton de voix, détecter votre stress, vous suggérer une pause.

    Mais elle ne peut pas s’asseoir à côté de vous dans la boue et vous dire : « moi aussi, j’ai connu ça ».

    L’empathie n’est pas un traitement de données. C’est une résonance entre deux consciences.

    Et ça, aucun code ne le reproduira jamais.


    Sources citées :

    • Daniel Goleman – « Emotional Intelligence: Why It Can Matter More Than IQ » (1995)
      • Les trois types d’empathie : cognitive, émotionnelle, préoccupation empathique
    • Brené Brown – « Dare to Lead » (2018) et recherches sur la vulnérabilité

    Sources complémentaires :

    • JAMA Psychiatry (2023) – Études comparatives chatbots vs thérapeutes humains
    • Paul Ekman – « Emotions Revealed » (2003) – reconnaissance vs ressenti des émotions
    • Carl Rogers – « On Becoming a Person » (1961) – empathie thérapeutique authentique
    • Antonio Damasio – « Descartes’ Error » (1994) – le rôle du corps dans l’émotion
  • L’intuition : ce super-pouvoir que l’IA n’aura jamais

    L’intuition : ce super-pouvoir que l’IA n’aura jamais

    J’ai un ami chirurgien qui m’a raconté cette histoire : en pleine opération de routine, il a senti que quelque chose n’allait pas. Rien dans les moniteurs, rien d’anormal sur le plan technique. Juste… un malaise. Il a creusé, insisté, et découvert une complication rare qui aurait pu être fatale à son patient.

    L’intuition.

    Ce n’est pas de la magie. C’est ce que les scientifiques appellent « l’intuition experte » : des années d’expérience compressées en un éclair de reconnaissance. Daniel Kahneman, dans son magistral « Thinking, Fast and Slow », explique que notre cerveau possède deux systèmes : le Système 1 (rapide, intuitif, émotionnel) et le Système 2 (lent, analytique, rationnel).

    L’IA ? Elle n’a qu’un Système 2 sur-dopé. Elle analyse, calcule, optimise. Mais elle ne « sent » rien.

    Nassim Nicholas Taleb enfonce le clou : dans son concept d’antifragilité, il démontre que face à l’incertitude radicale, face aux événements improbables (les fameux « cygnes noirs »), l’intuition humaine surpasse tous les modèles prédictifs. Pourquoi ? Parce qu’elle intègre ce que les données ne peuvent pas : l’expérience du chaos, la mémoire du corps, les signaux faibles imperceptibles.

    Un algorithme vous dira : « basé sur 10 millions de cas similaires, la probabilité est de 0,001% ». Votre intuition vous dira : « cette fois, c’est différent ».

    Et souvent, elle aura raison.

    Parce que l’intuition humaine n’est pas irrationnelle. Elle est supra-rationnelle : elle intègre des variables que nous ne savons même pas nommer.

    L’IA optimise ce qui est mesurable. L’humain navigue ce qui est essentiel.

    Je ne dis pas qu’il faut ignorer les données. Je dis qu’il faut aussi savoir les ignorer quand votre expérience vous crie de le faire.

    C’est ça, l’intelligence véritable.


    Sources :

  • L’IA et l’humain : démystifions le bullshit

    L’IA et l’humain : démystifions le bullshit

    Depuis quelques années, une nouvelle race de gourous a envahi nos flux LinkedIn et nos conférences : les « experts en IA ». Leur promesse ? L’intelligence artificielle va remplacer l’humain dans tous les domaines. Leur crédibilité ? Souvent inversement proportionnelle à leur bruit médiatique.

    Soyons clairs : l’IA actuelle, aussi impressionnante soit-elle techniquement, ne « pense » pas. Elle prédit, elle calcule, elle optimise des patterns dans des données massives. Mais elle ne comprend pas, elle ne ressent pas, elle n’imagine pas vraiment.

    Douglas Hofstadter, ce brillant penseur qui a exploré les liens entre mathématiques, conscience et créativité dans « Gödel, Escher, Bach », nous rappelle que la conscience humaine reste un mystère profond. L’IA peut imiter certains résultats de cette conscience, mais elle n’en possède pas la substance.

    Ce qui est véritablement révolutionnaire, c’est l’accessibilité. Un entrepreneur seul peut désormais prototyper une application sans coder. Un designer indépendant peut produire comme une agence de dix personnes. Un écrivain peut explorer des idées à une vitesse inédite.

    L’IA démocratise les outils qui étaient réservés aux grandes organisations. Elle amplifie notre créativité, elle accélère nos processus, elle nous libère des tâches répétitives.

    Mais elle ne nous remplace pas.

    Le Putain de Facteur Humain (pour reprendre une notion que j’ai déjà explorée ici) reste irremplaçable : notre capacité à douter, à questionner, à ressentir, à créer du sens dans l’absurde.

    Alors oui, apprenons à utiliser ces outils. Mais non, ne gobons pas le discours des charlatans qui nous promettent que la machine fera tout à notre place.

    L’honnêteté intellectuelle, ça commence par là.


    Sources citées :

    Sources complémentaires :

  • Le panier pourri : quand les gens ordinaires tuent

    Le panier pourri : quand les gens ordinaires tuent

    Vous pensez que vous ne tuerez jamais ?

    L’histoire n’est pas d’accord.

    En 1971, Philip Zimbardo recrute des étudiants ordinaires à Stanford — psychologiquement stables, pas de tendances violentes — pour une simulation de prison. Assignation aléatoire : gardiens ou prisonniers.

    Résultat ? En 36 heures, le premier prisonnier a un effondrement émotionnel. En 6 jours, Zimbardo arrête tout. Les gardiens sont devenus sadiques. Les prisonniers, déshumanisés.

    Zimbardo écrit plus tard dans The Lucifer Effect : « Ce ne sont pas les pommes pourries. C’est le panier. »

    Autrement dit : le contexte compte plus que la personnalité.

    Ce n’est pas théorique.

    1947, Partition de l’Inde. Voisins hindous, sikhs et musulmans vivaient ensemble depuis des siècles. Une ligne tracée sur une carte — « vous êtes maintenant en Inde, vous en Pakistan » — et le massacre commence.

    1 à 2 millions de morts. 15 millions de déplacés — la plus grande migration forcée de l’histoire. Pourquoi ? Parce qu’une frontière a changé qui était « nous » et qui était « eux ».

    Rwanda, 1994 : 800 000 morts en 100 jours. Des voisins tuant des voisins. Des enseignants tuant leurs élèves.

    Shoah, 1940s : 6 millions de Juifs. Des « gens ordinaires » devenant des bourreaux.

    Encore et encore, l’histoire nous montre la même chose : des gens ordinaires, dans des contextes tribaux extrêmes, deviennent des tueurs.

    Ce ne sont pas des monstres. Ce sont des humains. Comme nous.

    Comme le dit Zimbardo : nous sommes tous capables du bien et du mal. Ce qui détermine lequel ? Le contexte.

    Alors, quel contexte créons-nous ?


    SOURCES