5 leçons d’un chef étoilé

Il y a quelque temps, le magazine Capital postait la liste des 15 métiers les plus désagréables, issue d’une enquête de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques. Si l’on y retrouve nombre de métiers qualifiés de pénibles, le domaine de l’hôtellerie y tient les positions de tête, avec les cuisiniers qui s’emparent de la médaille d’or. La France si fière de sa gastronomie, et pourtant les femmes et les hommes qui officient en cuisine, occupant le pire des métiers ?

Pour ceux qui ne le sauraient pas, je suis quasiment né dans une cuisine et ai passé les premières années de ma vie, en tout cas jusqu’à 21 ans, dans un restaurant, qui est devenu étoilé au Guide Michelin, grâce à la ténacité et aux qualités de mes parents. Eh oui, une mère Maître d’hôtel (on féminise en maîtresse d’hôtel, ou pas ?), et un père Chef ! Ayant vécu au quotidien la réalité d’un restaurant étoilé, je comprends et agrée, en partie, ce classement. En partie, car l’adjectif désagréable n’est sans doute pas le bon. Éboueur, technicien sur une plate-forme pétrolière (j’ai fait) ou marin-pêcheur sur un thonier senneur sont sans doute des métiers plus désagréables. Il n’en reste pas moins que cuisinier est un métier qui offre du bonheur à autrui, il a donc un sens dont on peut tirer du plaisir. Et puis, qui ne connaît pas Paul Bocuse, Alain Ducasse ou Anne-Sophie Pic ? Des icônes de la gastronomie, des modèles pour beaucoup d’aspirants chefs.

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Pourtant, ce dur métier a beaucoup à nous apprendre, cols blancs, bien éloignés de la température d’une cuisine. Voici donc 5 leçons à appliquer pour mettre toutes les chances de réussite de son côté. Leçons apprises dans la cuisine d’un chef étoilé, mon père.

La préparation

Dans la restauration et l’hôtellerie, on appelle ça la mise en place. Impossible de servir un grand nombre de clients en quelques heures sans avoir tout mis en place. Et cela va au-delà de l’épluchage des légumes ou de la cuisson du foie gras. C’est la préparation des sauces, la découpe, la cuisson des viennoiseries, etc. Sans mise en place, il est tout bonnement impossible d’assurer un service.

Pourtant, dans le monde des cols blancs, et parfois des cols bleus, combien de réunions ne sont pas préparées, combien de dossiers client sont bâclés à la dernière minute, combien d’employés sont pressurisés pour en faire plus, plus vite ? Essayez de servir quarante couverts sans vous être parfaitement préparés !

Pour donner un ordre d’idée, un service dure environ deux à trois heures, mettons de midi à quatorze heures trente. La mise en place va, elle, commencer à huit heures, les achats ayant pu être faits à Rungis à partir de deux ou trois heures du matin. L’après-midi, la mise en place va recommencer vers seize heures trente pour un service qui va commencer à dix-sept heures trente. La cuisine va donc largement passer plus de temps à se mettre en place qu’à servir ces clients. C’est le prix à payer pour faire de la qualité !

L’équipe

De la plonge au froid, chacun a sa place, son rôle, sous la direction du Chef, qui orchestre le ballet. Un repas ce sont plein de mains qui vont s’activer pour préparer, cuire, dresser, et « envoyer » les assiettes. S’il fallait à un cuisinier de passer de la chambre froide au piano, de la salamandre à la mandoline, il ne pourrait pas réaliser une assiette parfaite. Chaque assiette est donc le fruit d’une équipe qui a tout mis en place et qui s’active en connaissant exactement la partition.

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On ne dit pas chef de cuisine pour rien. C’est un chef d’orchestre, pas un directeur ou un manager, ce qu’il peut aussi être par ailleurs. En cuisine, c’est un chef. Chaque membre de l’équipe joue la même partition, avec un instrument différent. Cela signifie aussi que chacun joue de son instrument au mieux de ses capacités et sait jouer ensemble. Cela demande respect, équilibre, écoute et synchronisation.

Le respect du client

Je vais choquer, mais la plupart des restaurants servent de la merde. Quand ce ne sont pas des plats surgelés, des sauces en poudre ou des légumes précuits, une majorité de clients remplissent les ventres, sans éblouir l’odorat, la vue et le goût. Il en est de même d’une majorité d’entreprises, qui remplissent une fonction commerciale, sans éblouir leurs clients.

Le rôle premier d’un chef étoilé, ou à la recherche d’une étoile ? Fournir une expérience unique, sublimer des produits, transformer une ou deux heures en moment inoubliable. Mais avant tout, respecter le client qui franchit la porte de son établissement, en lui offrant le meilleur. Ce respect n’est pas quelque chose de second plan, c’est la raison d’être.

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Combien d’entreprises, publiques ou privées, petites ou grandes, ont ce respect inscrit dans leurs gènes ? Le Pourquoi de Simon Sinek ! Trop peu malheureusement. Pourtant, c’est ce respect qui fait que Paul Bocuse est trois étoiles depuis 1965 ! À méditer, à chaque fois que vous livrerez un produit ou un service à un client !

Inventer en respectant les règles

Une pâte au levain ne se cuira pas en dix minutes. Un fumet de poisson ne se fera pas en cinq. Le beurre est nécessaire pour faire un beurre blanc. Ce ne sont pas des raisons pour ne pas faire du pain, cuire une sauce ou assaisonner une viande différemment. Mais sans connaître les bases de la cuisine, vous aurez du mal à obtenir le précieux macaron du Guide Michelin.

Il n’existe pas de grands chefs qui n’ont pas passé un temps infini à apprendre les bases de la préparation et de la cuisson des aliments. Sans les règles, on ne peut pas les enfreindre et les réécrire. Bocuse, Troisgros, Gagnaire, Robuchon ont tous réécrit la cuisine à leur manière, ont tous sublimé des plats simples, sans faire fi des bases et des règles.

Le big data, l’IA, l’informatique quantique sont entrain de révolutionner des pans industriels immenses. Ils nous permettent avant tout d’avoir une meilleure compréhension des règles, ils ne réécrivent pas. On peut prendre des raccourcis ou couper les coins, le retour de bâton est toujours violent. Si l’on s’inscrit dans le long terme, il est nécessaire de se remettre en question fréquemment en perfectionnant ses bases.

Tabula rasa

Une fois le service terminé, tout est nettoyé de fond en comble. On ne peut pas démarrer un nouveau service sans avoir tout remis en place proprement. L’équipe, la préparation, le respect et les règles ! Venez à 13 heures, c’est le coup de feu, la cuisine est sens dessus dessous. À 16 heures, service fini, tout brille, tout sent le propre, prêt pour la prochaine mise en place.

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Dans le monde du service ou de l’industrie, on reprend un morceau, on recolle une vieille pièce, on laisse traîner un truc dont on se servira plus tard. À plus ou moins long terme, on est confronté à une nécessaire réorganisation. Pourquoi ? Une incapacité à nettoyer, à se poser les bonnes questions à la fin de chaque livraison, à se remettre en question tous les jours.

Pour terminer, je vais ajouter une sixième leçon : le pas cher coûte cher. On l’entend souvent, on ne la voit pas souvent mise en pratique cette règle de bon sens. Une cuisine de chef étoilé, ce sont les meilleurs couteaux, les meilleures casseroles, des instruments parfaitement fonctionnels, une vaisselle sans défaut, des verres essuyés à la perfection, une argenterie qui brille, des nappes repassées…

Alors, quel que soit votre métier, votre industrie, votre profession, mettez-vous en œuvre ses six règles communes à toutes les maisons étoilées ? Si non, demandez-vous comment apprendre de cette excellence gastronomique et regardez-la faire des miracles aussi chez vous !

Photo Pascal Swier, Austin Distel, Le Creuset, Michael Browning

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